Histoire de la Guilde Marchande
La Guilde Marchande est née en l'an de Glace 1200, c'est-à-dire il y a environ une décade. A cette époque le roi de Cormande cherchait encore un système pour répertorier les années selon les évènements, un système à la portée de son peuple, en majorité des paysans sympathiques mais au demeurant un peu demeurés et se perdant dans la suite des nombres. Il se trouve que l'année précédente fut communément appelée "l'année du Grand Froid". En effet, l'hiver fut si rude que les eaux du lac de Solys gelèrent, décimant ainsi la paisible peuplade d'hommes-poissons qui y avait élu domicile. Le roi décida alors de nommer cette année noire, où paradoxalement toute la contrée était parée d'un manteau blanc, simplement l'
an de Glace. Et il fut heureux.
Hélas, dès l'année suivante, le Grand Froid revint, plus fort encore, et le roi dut ajouter à ce second "an de Glace" le nombre d'années habituellement utilisées pour compter : ce fut l'an de Glace 1201. Suivirent l'an des Brumes 1202 et l'an Rouge Terne 1203, une année de guerre contre la Fraternité Sombre, qui, pour la petite histoire, fut renommée l'
an Terne Rouge dans les milieux moqueurs de Cormande. Ceci mit le roi dans une colère rouge également et lui fit abandonner toute inovation dans la nomenclature du temps qui passe. Ainsi l'année suivante fut-elle désignée simplement, comme par le passé, par un nombre : l'an 1204. Et ainsi de suite jusqu'à nos jours.
Mais revenons à cette fameuse année 1200. Suite à cet épisode glaciaire qui ruina les récoltes des terres du royaume, il fallut trouver ailleurs de quoi nourrir le peuple et les bêtes, sans chercher plus avant à les distinguer selon les moeurs habituelles de la noblesse vis-à-vis de la populace. Le
barde Hibou, surnommé ainsi car il était effectivement le petit-fils d'un homme-hibou, et probablement l'arrière-petit-fils de la sorcière de Sombrebois, bien que cette filiation n'ait jamais été prouvée, le barde Hibou donc proposa de conclure un accord avec la florissante cité de
Kern. Les dirigeants de Kern, grands amateurs de volatiles, accueillirent le barde avec beaucoup d'égards et il en nacquit un grand projet entre les deux cités : non seulement Kern accepta d'aider les citoyens de
Cormande, mais elle proposa d'établir une liaison commerciale par voie maritime. Ainsi nacquit la Guilde Marchande. Charge fut donnée au barde Hibou d'organiser cette nouvelle administation...
Celui-ci commença par proposer d'édifier, à Cormande et à Kern, un bâtiment servant à recueillir les doléances des marchands, ainsi que des registres pour comptabiliser les productions et les besoins de chaque cité. Le roi de Cormande, quelque peu méfiant des activités louches drainées par son port, l'installa sur la place de son palais. Les dirigeants de Kern, plus enclins à rompre leur isolement géographique, le placèrent dans leurs grandes halles marchandes. Pour rassurer les commerçants, plus encore que les gardes mis à disposition des navires, le barde eut l'idée de créer un système de lettres de change authentifiées, évitant le transport d'or.
Enfin, pour respecter le fragile équilibre de cette union naissante, la guilde ne fut pas destinée à être dirigée selon une hiérarchie habituelle. Les premières décisions furent prises de façon collégiale, par l'ensemble des marchands affiliés à cette organisation, sous le contrôle d'un représentant de chaque cité (qui fut dans les premiers temps le souverain en personne, puis un de ses proches conseillers). Le nombre de marchands affiliés augmentant, il fut rapidement décidé que chaque cité élise un représentant, bien que les réunions restaient ouvertes à tous et étaient, jusqu'à présents, relativement bien fréquentées. Le représentant de Cormande fut légitimement le barde Hibou. Quant aux marchands de Kern, ils choisirent
Mert, le plus ancien marchand de la ville, aujourd'hui confortablement installé dans les halles.
L'âge d'or de la guilde dura jusqu'à la disparation mystérieuse du barde, après une réunion houleuse comme une mer d'orage, et c'est d'ailleurs dans ces conditions qu'il mit les voiles, pour la dernière fois, en direction de Kern, où jamais il ne parvint. La discorde provenait non pas d'affaires marchandes, mais de la volonté du roi de Cormande de développer l'exploitation des terres autour de
Solys, pour répondre à une demande croissante en nourriture de la cité de Kern, et en échange, l'affaire n'était pas si secrète, de quelques productions magiques de leur académie. Le barde Hibou avait réfusé que soit ainsi mis en danger le fragile équilibre entre la Nature et la Civilisation qui persistait à Solys et aux alentours, et il entendait s'adresser directement aux dirigeants de Kern sans passer par leur conseiller alors présent.
Les recherches ne donnèrent rien. Le roi de Cormande suspendit sa volonté d'expansion, bien qu'aujourd'hui la rumeur fasse écho d'un possible projet en ce sens. Le barde Hibou fut remplacé par la populaire propriétaire des Ciseaux d'Argent, qui dirige désormais les négociations d'une voix envoutante et d'une emprise certaine, pour le plus grand intérêt des marchands de sa cité.